Utopie ✧ La vie n'est pas un rêve parfait.

Utopie est quelqu'un de très... lent. Elle parle lentement, en choisissant toujours ses mots avec soin, elle se déplace lentement, mange lentement... La seule chose qu'elle fait avec plus ou moins de rapidité, c'est réfléchir. Notre jeune jument est dotée d'une vive intelligence, quoique assez peu exploitée, et d'une sensibilité qui se manifeste chez elle par le refus total des conflits, et par sa faible résistance physique lorsqu'elle est soumise à de trop grandes émotions. Lorsqu'elle assiste à une querelle, Utopie n'intervient pas, à moins qu'elle ne connaisse suffisamment les protagonistes, et s'éloigne, jusqu'à ce qu'elle ne perçoive plus la violence se dégageant de la scène. Elle ignore si cela lui fait mériter l'adjectif lâche, et s'en moque. Ce que peuvent penser d'elle de parfaits inconnus la laisse indifférente. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne ses connaissances, mais elle part du principe que si on continue à la fréquenter, c'est qu'elle n'est pas si énervante que cela. d'ailleurs, lâche ou pas, elle peut faire montre d'un caractère bien trempée si on la colle de trop près ou qu'on s'en prend à des poulains. Elle a tendance à être légèrement désagréable avec les étalons en général, cela est du à son mal être vis à vis d'eux. N'y voyez rien de personnel, cette jument aurait pu être la plus agréable du troupeau, au lieu d'être la plus conciliante, si sa vie ne s'était pas déroulée comme elle l'a fait.
Utopie a toujours été extrêmement douce, et elle a toujours voulue être mère. Elle reste la douceur incarnée mais désormais tout les forces qu'elle pourrait mettre à désirer un poulain sont consacrée à aimer au delà de la mort celui qu'elle aurait pu élever.

Utopie dégage dans son ensemble une impression de fragilité. Elle éveille chez les bonnes âmes des envies de la protéger, et est le parfait souffre-douleur pour les autres.
La jument est gris pommelé, ses crins sont très pâles, pratiquement blancs. De longues balzanes blanches ornent chacune de ses pattes. Ses grands yeux bleus innocents qui accentuent son apparence de faible jument. Ne nous y trompons pas, il suffit de la regarder avec plus d'attention pour remarquer les muscles sous sa robe, indéniables signes de sa résistance physique. Cependant, son coeur a parfois des ratés, comme lorsqu'elle est soumise à de trop grandes émotions, qui la submergent.

Lorsqu'elle se confie, Utopie a coutume de dire qu'elle est née deux fois. On la sent souvent prête à ajouter qu'une partie d'elle est morte peu après cette deuxième naissance. Nous expliquerons cette lubie plus tard, pour l'instant, concentrons nous sur la première naissance, la vraie.
Utopie est née au printemps, lorsque les rigueurs de l'hiver sont passées, et que l'on ne se méfie plus. Néanmoins, l'on n'est jamais à l'abri des caprices du temps. Alors que sa mère allait mettre bas, l'île subit l'une des dernières gelées de la saison. Le paysage était entièrement blanc quand Utopie ouvrit les yeux. Conséquence peut être de cette naissance enneigée, elle devint une pouliche maigrichonne, timide, avec un côté fleur bleue. Rêvant du grand amour et passant le plus de temps possible avec les jeunes poulains, elle grandit. Elle aurait pu rester une jument enamourée et légèrement niaise, si elle n'avait pas été dotée d'un grand sens de l'observation et de l'intelligence dont nous avons déjà parlé. Le fait que certains poulains soient rejetés par leurs camarades, que ses parents se disputent souvent, que toutes les mères n'aiment pas forcément leurs enfants, tout cela ne lui échappa pas. Elle en tira ses propres conclusions. La vie était parfois cruelle, mais il ne tenait qu'a elle de faire de la sienne un rêve parfait. Et pour cela, il lui fallait réaliser son tout premier rêve. Avoir un poulain.
Lorsqu'elle se fit cette constatation, elle était encore bien trop jeune. Mais cette idée fit son chemin, et l'accompagna durant toute son adolescence. Pour Utopie, le rêve ne tint plus qu'à cela : un poulain. Elle s'imaginait des scénarios, se demandant comment elle l'élèverait si c'était une fille, comment faire si c'était un garçon. En fait, on peut considérer qu'elle devint légèrement niaise. Par exemple, l'idée ne l'effleura que fort tard, que pour avoir un poulain, il lui fallait un compagnon.
'Heureusement' pour elle, celui-ci put se trouver rapidement. Un jeune étalon, que nous ne nommerons pas, et qui dévorait des yeux Utopie depuis que tout deux se fréquentaient. L'idée de savoir si elle même l'aimait ou non ne l'effleura pas, seul comptait à ses yeux le futur poulain. L'étalon, amoureux et peu curieux, ne s'étonna pas de la brusque passion de la jument de ses rêves. Et lorsqu'elle lui demanda d'être le père de son premier poulain, il dit oui.
Mais ce qui n'aurait dû n'être qu'une étape neutre dans la réalisation de son rêve s'avéra être désagréable, et perturbant pour la jeune jument. Et pour l'étalon, qui ne comprit pas, qu'après lui avoir demandé ce qui pour lui signifiait que leur relation était sérieuse, qu'Utopie se détourne de lui avec dégout. Nous ne nous attarderons pas sur son cas et nous dirons seulement qu'il disparut de l'île. Peut être trouva-t-il un passeur pour quitter l'île, et sans doute est-il toujours vivant, autre part. Peut être a-t-il tenté la traversée à la nage, seul, et sans doute s'est-il noyé. Utopie tenta de chasser son souvenir de sa mémoire, il la faisait trop souffrir. Mais cette souffrance se fondit vite dans sa joie de découvrir qu'elle attendait un poulain. Comme si cette naissance à venir permettrait à ce jeune étalon de continuer à vivre un peu. L'idée qu'il était le père de cet enfant qui viendrait bientôt le rendait folle de gratitude. Et sans doute en vint-elle même à l'aimer. Il est tellement plus facile d'aimer un souvenir.
Passons. Le temps lui aussi passe, d"ailleurs, et cela nous amène à la deuxième naissance d'Utopie. L'évènement le plus important de sa vie, tant par la joie qu'il lui apporta d'abord, que par la douleur qui suivit.
L'hiver commençait à faiblir, et s'il fallait encore redouter des gelée tardives, le printemps n'était pas loin. Depuis plusieurs mois, Utopie s'émerveillait de voir son ventre s'arrondir, et ne vivait que dans l'attente de la naissance de ce poulain.
La mise à bas fut difficile, et dura toute la nuit. Au matin, le paysage était blanc. L'une de ces gelées tardives s'était produite. Utopie était épuisée, mais vivante. Le poulain, lui, moins résistants qu'elle ne le fut lors de sa propre naissance, ne vécut que quelques heures. Oui, c'est en l'espace de quelques heures qu'Utopie à connut une seconde naissance et une première mort. Aujourd'hui, elle ne semble guère vivre que pour attendre la seconde.